Jihyuk voulait bien faire des efforts, même pour les cours dont il ne raffolait pas, mais il y avait tout de même une certaine limite à ce qu’il pouvait endurer comme torture. Le cours de divination dépassait, et de loin, ce que sa patience était capable de supporter, or il était tout de même impensable pour lui que de penser à en sécher un. Hors de question, même. Au moins, Jihyuk n’était pas livré à lui-même dans cette impression de perte de temps : il était récompensé par la présence de Misturu. Ce qui était en soit une bonne et une mauvaise chose puisqu’elle n’avait pas le même sérieux que lui en classe, mais c’était largement mieux quelqu’un qui arrive à faire passer le temps plus vite que de regarder des feuilles de thé jusqu’à la mort.

Le regard fixé de manière presque hostile sur son livre de divination depuis cinq minutes, Jihyuk soupira en roulant des yeux et prit ses affaires de cours dans ses bras. Il jeta un dernier coup d’œil à Princess glorieusement étendue sur son lit et ne put s’empêcher de penser qu’elle avait une sacrée veine de ne pas être forcé d’aller écouter une éberlue parler de trucs farfelues avec un ton trop dramatique. Un dernier soupire lui échappa avant de quitter sa chambre et estamper un sourire sur ses lèvres pour rejoindre Mitsuru dans la salle commune des Chuugi. « Allons mourir d’ennui, » lui échappa malgré tout, mais ce n’était pas comme si ça risquait de la surprendre plus que nécessaire.

Il entama le pas en premier, quittant le confort de la salle commune où il aurait préféré rester et faire n’importe quoi d’autres que ce vers quoi ils marchaient d’un pas trop rythmé à son goût. Si Jihyuk avait su survivre à vingt ans de repas familiaux avec une bande d’égocentriques qui ne voient que leur nombril il pouvait très bien sortir vivant d’un cours de divination. « Sérieux, ce cours… » Il lui était impossible de dire du mal de quoique ce soit et coupa court à ses propres paroles, mais il était convaincu que Misturu parviendrait à les terminer par elle-même mentalement. Ils se connaissaient bien assez pour ça et ce n’était pas le sourire figé à ses lèvres qui allait laisser croire que Jihyuk s’était empêché de dire du bien du supplice à venir.

« Tellement palpitant que j’en ai la chair de poule, regarde. » En geste purement ironique, il contrebalança le poids de ses affaires de cours sur une main et leva un bras couvert par l’uniforme de l’école, tout en conservant le sourire aux lèvres comme s’il disait la stricte vérité. Il fallait être un peu spécial pour apprécier pleinement et à fond le cours de divination. Jihyuk n’était guère adepte de se faire dire qu’il finirait par décevoir un proche dans le futur ou qu’il serait victime d’un accident. C’était un peu ridicule. Tout le monde finissait par décevoir quelqu’un d’une façon ou d’une autre un beau jour et il était impensable de vivre une vie sans un seul accident. En gros, c’était un cours qui servait à lui rappeler qu’il était un individu banal comme tous les autres élèves de la classe alors qu’il en était déjà conscient.

Le trajet lui rappelait un semblant de marche dans le couloir de la mort, mais Jihyuk suivit le pas de Mitsuru jusqu’au fond de la classe une fois à destination. Généralement, il préférait le milieu sauf que pour ce cours, le plus loin il pouvait s’installer, le mieux il se porterait. Rapidement, Jihyuk tenta de trouver un indice sur quel genre de supplice ils allaient devoir braver pour n’en trouver que très peu. « Je ne vois ni boules de crystal ni tasses, » constata-t-il en bon Sherlock avant de poser son attention sur elle avec un haussement d’épaule incertain. « M’étonnerait pas qu’on essaye de lire dans les lignes de la main. » Son regard glissa involontairement vers la paume de sa main qu’il fixa avec un léger froncement de sourcil. Jihyuk avait d’horribles belles mains pour un homme, cela aurait presque pu le complexer.

« Marrant ? » Il répéta en étouffant un rire pour garder un semblant de sérieux tout en posant ses trucs sur la table choisie. « À l’écouter, tout le monde ici va vivre le drame de sa vie avant la trentaine. » Malgré tout le respect qu’il voulait bien tenter d’avoir pour le cours, la divination n’était pas son truc. Qu’est-ce que des feuilles de thé pouvaient bien connaître à son futur ? C’était comme l’horoscope : un truc divertissant quand on a rien de mieux à faire, mais sinon autant laisser ça de côté pour les retraités dans leur chaise-berçante.

Son attention et son sérieux revinrent au galop dès que leur professeure entra dans la classe avec un livre sous le bras qui aurait pu appartenir au millénaire dernier tant il semblait à l’article de tomber en poussière. Jihyuk haussa un sourcil par réflexe, patientant jusqu’à ce qu’elle salue la classe d’une voix dramatique et qui sonnait atrocement hors-contexte. Elle leva le bouquin qu’elle tenait pour le montrer tout en débutant l’introduction du cours et le truc qui frappa le plus Jihyuk fut le dessin d’une main sur le plat du dessus qui ne ressemblait en rien au leur, mais il ne serait pas surpris d’y trouver un chapitre sur le sujet. Gardant le regard rivé vers l’avant, il se pencha néanmoins vers Mitsuru en chuchotant un rapide « c’est moi le devin, je devrais peut-être donner le cours. »

C’était plutôt commun pour les élèves d’éviter de prendre l’enseignante de divination au sérieux avec ses prédictions souvent beaucoup trop intenses pour des gens de leur âge. « En fait, elle est payée pour nous effrayer. » Sauf que ce n’était pas une chose très bien réussi si même lui n’éprouvait pas une légère sensation glaciale lui traverser les veines. Jihyuk resterait toujours sceptique face à une matière aussi peu tangible et manquante en faits. Une ou deux prophéties par-ci par-là dans l’histoire n’étaient guère assez pour le convaincre : cela pouvait très bien n’avoir été que des coups de chance exceptionnelle.

« Tu ne finiras pas en échec, t’en fais pas. » En guise d’appuis, il lui tapota le bras pour l’encourager. Certes, Jihyuk était conscient que Mitsuru était loin de ses propres notes, mais ça ne voulait pas dire qu’il la laisserait couler pour autant si on lui donnait le choix. Puis, en fait, si ça pouvait avoir l’effet de mettre leur enseignante dans le tort, c’était une raison de plus pour filer un coup de main à Mitsuru. Parlant du loup, cette-dernière ce pointa par la suite pour ennuyer la majorité de la salle avec son discours remplis de verbes sinistres ou mélancoliques. Sérieusement, elle devrait peut-être songer à se recycler dans le théâtre si elle venait à perdre son boulot à l’école.

Bien évidemment, Jihyuk ne put s’empêcher de commenter la nature du cours et sa chance naturelle à la jeune femme à ses côtés. Il lutta avec lui-même pour étouffer son ricanement suite aux propos de Mitsuru alors que la professeure en était à faire de grands gestes inutiles, toujours en tenant le livre dans une main avant de s’en prendre à une pauvre âme située à l’avant de la classe. Son regard glissa en direction de sa meilleure amie lorsqu’elle proposa deux activités plutôt alléchantes, mais il devait écouter ce que l’énergumène avait à dire. Autant Jihyuk ne pouvait se pousser à apprécier le cours, autant il lui était impératif de maintenir une bonne moyenne s’il désirait conserver le plus de portes ouvertes possible pour son avenir.

Son hésitation ne dura qu’un moment puisque l’enseignante demanda d’ouvrir leur livre à la page deux cent cinquante-huit et Jihyuk obéit aussitôt. Il tira son livre vers lui, tourna les pages jusqu’à la bonne pour révéler le dessin d’une main tapissée de lignes et de numéros indexés sur les pages suivantes avec la signification de chaque courbe. Jihyuk tourna de nouveau la tête vers Mitsuru, le sourire aux lèvres puisqu’il était évident que le cours se passerait sur une note plutôt légère malgré l’apparence des pages en lien avec la chiromancie. L’enseignante leur accorda la liberté de s’essayer avec un ou une partenaire et elle circulerait pour venir en aide. Parfait. « Voyons voir ce que le devin en moi trouvera. » Il poussa son livre légèrement entre eux, n’ayant guère besoin d’en ouvrir deux à la fois et saisit la main gauche de Mitsuru pour l’observer. Ses sourcils se froncèrent, la levant un peu et la pivota de droite à gauche d’un air sérieux puisque son sourire s’était complètement évanoui. « Ah, je vois. » Jihyuk prit volontairement une pause, cessant de tourner et retourner la main de Mitsuru avant de lever les yeux vers elle et s’efforça de prendre la voix la plus dramatique qu'il lui était possible. « C’est une main. »

Il va s’en dire que Mitsuru lui avait glissé un dilemme sous le nez avec ses idées de pratiquement ignorer la matière enseignée pour divertir leurs méninges autrement. Sauf que, avec Jihyuk, les cours c’était du sérieux. Ils allaient à l’école pour devenir des membres respectables de la société et ça ne s’apprenait pas toujours dans une partie de plaisir. C’était un peu comme le dicton ‘il faut souffrir pour être beau’ mais appliqué à la réussite. Mitsuru devait être déjà consciente qu’il allait faire tout en son pouvoir pour essayer de garder son focus sur l’enseignante, mais le destin sembla se ranger du côté de sa meilleure amie lorsque le temps de se placer en équipe arriva étrangement plus vite que la norme – peut-être la professeure avait-elle réalisé que les élèves s’ennuyaient à mourir pendant ses discours interminables.

Être sérieux ne voulait pas forcément dire que Jihyuk se devait de prendre le cours entier en importance – surtout le cours de divination. Puis, tant que l’enseignante se trouvait hors de portée, ils pouvaient bien se permettre un peu de divertissement sans quoi ils sortiraient les pieds devant par la porte. Bien sûr, Jihyuk n’avait pas prévu que la réaction de Mitsuru attirerait l’attention de l’être étrange qui possédait un soi-disant troisième œil et son emprise sur la main de la jaune se resserra légèrement par nervosité. Il n’avait que très banalement jeté un coup d’œil au livre quand il en avait fait l’achat et ses uniques connaissances en chiromancie venaient d’une tante un peu bizarre – les familles de sangs purs sérieusement, autant éviter, conseil d’ami. Alors, sa seule option pour sauver les apparences étaient de raconter un mensonge tout en beauté et ce n’était pas comme s’il s’agissait de la première fois que Jihyuk aurait à user d’un ton et une assurance convaincante envers une figure d’autorité.

Jihyuk se racla la gorge, glissant les yeux vers la paume de main de Mitsuru et y pressa le doigt pour en désigner quelques lignes : avec un peu de chance, son charabia pourrait peut-être suffisamment sembler être la vérité pour qu’elle les laisse tranquilles – ou pas, mais bon, c’était un risque à prendre. « Ici, on voit qu’elle aura une vie remplie d’amour et de relations amoureuses. » Certes, il faisait exprès d’éviter la vérité puisqu’il connaissait bien assez son amie pour connaître quelques replis de sa vie amoureuse, mais c’était l’enseignante qu’il devait convaincre et non sa meilleure amie. « Puis, elle aura le cœur brisé, ce qui mènera à une profonde dépression. Il y aura beaucoup d’obstacles sur sa route, souvent difficiles à surmonter et qui la pousseront vers une mort relativement précipitée. » Leur professeure était apparemment fanatique des morts prématurées, alors autant lui en donner une pour tenter de s’en départir. En toute honnêteté, tout ce qu’il voyait c’était un paquet de lignes qui lui permettait d’être capable de refermer la main en un poing, pas de prédire ce que serait sa vie ou à quoi ressemblait son caractère.

Ses yeux remontèrent pour avoir le verdict du paquet de fringues qui donnait le cours pour la voir tapoter l’épaule de Mitsuru d’un geste qui se voulait probablement réconfortant accompagné d’un rapide « pauvre petite » avant de répondre à l’appel d’une bleue quelques tables plus loin. Contre tout attente, la mission avait été un succès et Jihyuk put recommencer à sourire. « Je peux te rendre ta main, maintenant. » Il libéra Mitsuru de son emprise légère, mais conserva néanmoins le bras tendu dans sa direction, roulant les doigts avant d’ajouter « c’est à ton tour. Raconte-moi quel tragique évènement m’attend cette année. »