Shin se précipita dans l’amphithéâtre. Il devait rejoindre son frère un peu plus tard dans la journée et il avait malencontreusement oublié sa veste dans la salle après un de ses cours. Il ne prit pas la peine d’allumer la lumière et se repéra à son instinct pour repérer son ancienne place. Arrivé là, il se mit à quatre pattes pour la chercher et la trouva, en effet, sous un des sièges. Un petit « yatta » passa la barrière de ses lèvres et il s’apprêta à se relever quand il entendit un bruit de porte qu’on ouvrait. Ah, il n’était apparemment pas seul. Sur ses gardes – car cela pouvait toujours être un de ses ennemis et il n’avait pas envie d’une confrontation séance tenante – il ne se releva qu’à peine pour voir de qui il s’agissait et ses yeux s’écarquillèrent de surprise en voyant Mi Hyun.
« L’Artiste », comme il aimait à l’appeler dans ses pensées. Il l’avait souvent écouté en catimini pendant qu’elle jouait et c’était à chaque fois un moment intense dont il se souvenait des semaines plus tard. A vrai dire, cela faisait un long moment déjà qu’il s’octroyait ce genre de petit concert personnel sans que la demoiselle ne le sache. Et pourquoi le saurait-elle ? Elle ne devait d’ailleurs même pas se douter qu’il était un de ses grands admirateurs…puisqu’il s’employait à la rabaisser dès qu’il le pouvait. Oui, Shin était l’exemple typique du connard imbu de lui-même avec Mi Hyun. Sans lui dire pourquoi et dès qu’il la croisait, il faisait tout pour lui faire savoir qu’elle était incapable et même, minable à ses yeux. Sauf que c’était faux, bien entendu. Il la trouvait très douée et talentueuse dans son instrument. Sa façon de jouer et ses compositions le transportaient toujours…sauf qu’il ne lui avouerait jamais en face. Alors pour cacher cette admiration, il faisait tout l’inverse…il la dédaignait, l’écrasait et lui faisait croire qu’il la haïssait.

Il aurait pu partir mais à la place de cela, il se décala pour avoir une meilleure vue vers la scène et la l’écouta jouer de son instrument, attentif. Plus que le son qui emplissait joliment l’air, c’était le visage concentré et passionné de Mi Hyun que Shin aimait admirer. Elle était si douée, si engagée dans sa musique que c’en était magnifique. Sublime. Et à nouveau, le garçon se laissa transporter par la musique, ne voyant pas le temps filer, trop obnubilé par cette vision et ce que cette musique provoquait en lui. Cette mélancolie, cette douceur…il en frissonnait.

Et quand elle eut terminé, il fut réveillé si brusquement que son portable tomba de sa poche et tinta en s’écrasant sur le sol. Oups. Il chercha à s’en aller discrètement mais il sut que c’était peine perdu quand la jeune femme demanda qui était là. Trop tard pour se cacher maintenant…Ramassant sa veste, il tenta cependant une dernière esquive et se faufila vers la porte de sortie mais un raie de lumière le trahi et  voilà qu’elle le reconnut.
Il n’eut donc d’autre choix que de se retourner alors qu’elle s’approchait de lui et Shin prit son masque de glace, la toisant comme si elle n’avait aucun intérêt ni aucune valeur à ses yeux. « Je suis passé récupérer ma veste, ne va pas croire je ne sais quoi ! Et puis de toute façon, tu joues beaucoup trop fort, c’est à s’en couper les oreilles ! Franchement ma pauvre, si c’est là le talent dont tu dis faire preuve, tu n’iras pas bien loin ! » Un faux ricanement sortit du profond de sa gorge et il détourna le regard. Certaines personnes pouvaient voir le mensonge dans les yeux des autres. Il ne savait pas si Mi Hyun étaient de celles-là mais dans le doute, il préférait se protéger. Elle ne devait pas savoir qu’il venait de mentir comme un arracheur de dent et qu’en réalité, sa musique était de loin la plus belle qu’il puisse entendre entre ces murs. Qu’adviendrait-il de lui si on lui voyait une telle faiblesse ? D’autres s’amuseraient à l’écraser et toute sa crédibilité partirait en lambeau. Il était rare qu’on le fasse admirer quelqu’un et justement, il fallait que ça reste au stade de rareté. « Il n’y a peut-être que la composition musicale qui valait quelque chose. Je ne sais pas de qui elle est, mais tu devrais t’inspirer de cette personne. »

 

Il aurait dû se douter qu’elle était l’auteure d’une telle mélodie. Après tout, elle lui avait prouvé un nombre de fois incalculable qu’elle était capable de ça, sans le savoir. Oui, il savait qu’elle était douée et qu’elle ne méritait pas ses paroles mais il ne pouvait faire autrement. La complimenter ? C’était hors de question. Ce serait lui donner une importance qu’il ne devait pas avoir envers elle, si on suivait l’ordre des choses. Peu de personnes étaient censées retenir son intérêt et malencontreusement, c’était tombé sur elle. En réalité, il faisait un peu la même chose avec Ren. Il l’estimait beaucoup en tant que personne mais passait son temps à le rabaisser. Sauf que les coups – ou plutôt les mots – étaient réciproques alors que Mi Hyun, jusque là, n’avait fait qu’encaisser tout ce qu’il avait pu dire. Si on regardait cela d’un point de vue extérieur, il n’était qu’une ordure et ne valait absolument rien, comparée à elle qui savait se taire et accepter les critiques. Sauf qu’il semblerait que cette fois, il en ait fait une de trop. Shin se dit qu’il était normal qu’elle s’énerve ainsi – après tout, à sa place, voilà bien longtemps qu’il aurait tenté de remettre à sa place la personne qui aurait tenté de le rabaisser de la sorte à chaque rencontre. Cela ne l’empêcha pas d’en être un peu étonné, il fallait le reconnaître. Ce soudain revers de situation rendait cet échange bien plus intéressant qu’il ne l’était à la base...Peut-être que cette fois-ci, ça allait être différent ? Oui, mais comment ? « Mais tout ce que je dis est parfaitement pensé et réfléchi, sinon je n’ouvrirai pas la bouche. Tu n’as peut-être simplement pas le courage de dire à quelqu’un la stricte vérité sur lui ? » Bien que présentement, ses propos n’étaient pas véridiques. Elle était bien loin d’être mauvaise, sinon il ne serait pas resté dans l’amphithéâtre après son arrivée, quitte à se faire remarquer dès le début. Quand Shin n’aimait pas quelque chose et qu’il voulait s’en aller, il le faisait. Dans le cas où il déciderait de rester même en n’aimait pas la chose, c’est qu’il y aurait un prix bien plus beau à la clé. Sauf que là, que gagnait-il à écouter Mi Hyun jouer ? Rien. Absolument rien à part ces sentiments inexplicables et cette sensation de n’être qu’un infime personnage insignifiant dans un univers immense.
Il la regarda partir avec dans l’idée de faire demi-tour et de la laisser mariner dans son jus. Après tout, pourquoi s’y attarder ? Il n’était pas censé lui donner d’importance, il ne fallait pas oublier ! Sauf que la différence avec toutes ces autres fois où il se contentait d’hausser les épaules et de partir, c’est que là c’était lui le fautif et qu’il avait tort. Oui, tort. Shin pensait à 99% du temps avoir raison mais cette fois, c’était différent. Alors, se maudissant pour s’être fait repérer, il grimpa sur la scène et partit en direction des coulisses, suivant le chemin que la jeune femme avait pris peu avant lui. Le « baka » retentissant lui parvint forcément aux oreilles et il leva les yeux au ciel dans un soupir agacé. Il finit par la retrouver plutôt rapidement et arrivant dans son dos, fouilla dans la poche intérieure de sa veste avant de tendre un mouchoir en tissu vers Mi Hyun. « Une femme qui pleure, ce n’est pas très séduisant. Une musicienne encore moins, car elle gâche sa musique avec l’affreux bruit de ses reniflements. Mes critiques sont bien faibles comparées à celles que tu recevras une fois ta carrière lancée – si tant est qu’il y en ait une. Si tu ne te renforces pas un peu plus, tu peux tout de suite dire adieu à ton violoncelle. Enfin, ce n’est pas comme si ça me regardait. Prends-le. » Il tendit à nouveau la main vers elle et lui fit un signe suggestif du menton pour qu’elle s’exécute. Ne voyait-elle pas l’effort qu’il était en train de faire là ? Le geste plus ou moins gentil et spontané ? Qu’elle en profite, car c’était bien parce qu’ils étaient dans les coulisses qu’il se permettait de montrer un peu plus du côté doux de sa personnalité si ambigüe. « Une question : comment une personne comme toi en est arrivée à se retrouver avec un tel majestueux instrument entre les mains ? » Une insulte à peine déguisée car malgré tout, il devait garder la face…

 

Il savait commencer à dépasser de peu les limites qu’il s’était lui-même fixée et la seule option était de revenir en arrière avant que l’avis de la jeune femme sur lui ne change pour quelque chose de plus positif. Certes, le positif lui serait plus profitable quand viendra le moment de choisir un camp. Mais plus que tout, plus que le futur, le présent comptait et il ne devait pas vendre la mèche si tôt. Voilà pourquoi il fit cette insulte à peine déguisée qui laissait sous-entendre à Mi Hyun qu’elle ne méritait pas l’objet entre ses mains – alors qu’on le savait, c’était tout l’inverse ! A vrai dire, il ne s’attendait pas à ce qu’elle lui réponde aussi sincèrement et surtout, qu’elle lui raconte sa vie. Non pas qu’il n’en ait rien à faire mais…presque. Tout ce qui l’intéressait, c’était son instrument et la façon dont elle jouait. Il pouvait être sincère avec lui-même à ce sujet mais cela ne voulait pas dire qu’il portait un intérêt total sur la personne en question. Une artiste à ses yeux, oui, mais avait-il réellement besoin d’apprendre toutes ces choses sur ses parents ? Bien sûr que non. Pourtant, il ne la coupa pas mais garda ce visage neutre et presque ennuyé.
Néanmoins, il était d’accord avec elle sur : quand elle jouait, c’était magique ! Mais il ne se voyait pas lui dire que lui aussi, dès qu’elle jouait il était transporté dans un autre univers. Peut-être pas pour les mêmes raisons qu’elle, cependant. Il est vrai que leurs parents n’étaient pas si présents que ça dans leur enfance mais c’était le statut de son père qui voulait ça et puis Shin avait toujours eu Satoru à ses côtés donc au fond, il n’avait jamais été seul. Peut-être un peu à l’école primaire parce que sa personnalité avait fait fuir au départ les jeunes garçons de son âge. Mais au fil des années, Shin avait appris à se moduler pour s’adapter à chacun tout en restant la personne contradictoire qu’il était vraiment. Depuis ce jour, il n’avait plus été seul. Peut-être aussi que ce n’était là qu’un artifice, que ces présences n’étaient pas sincères et vraies, mais le résultat était bien là et il n’avait plus avoir à faire face à cette solitude oppressante qui nous force à tout faire pour nous faire remarquer ne serait-ce que quelques secondes. Pour Mi Hyun il avait s’agit d’un violoncelle, pour lui…

Une passion ? Il n’avait pas de « passion » à proprement parler. Des choses ou activités qu’il aimait, bien évidemment ! Des tas même ! Il s’essayait à beaucoup de choses et était un garçon plein de ressources qui pouvait entretenir différentes conversations aux sujets diverses. Mais une passion…une seule chose lui vint à l’esprit mais il se garda bien d’en parler. Pourquoi le ferait-il ? Il n’était pas dans l’obligation de lui raconter sa vie et ses pensées intérieures ! Comme s’il était si facile à percer… « A quoi cela t’avancerait de savoir une telle chose ? Quoique soit ma passion, elle aura probablement bien plus de fond et de forme, et j’y serai meilleur. » De nouveau, un air neutre, un regard dédaigneux et un faux sourire ironique et agaçant qui s’afficha sur son joli visage. Pour qui se prenait-elle, à lui poser ce genre de questions ? Les Kenmei et les Waru avaient beau avoir signé plus ou moins un « accord de paix », il se méfiait des autres élèves – voire même de ceux de sa propre maison. Raconter sa vie n’était pas une bonne chose pour se faire respecter plus tard. Il changea donc de sujet. « Un instrument pareil, cela doit coûter cher. Sais-tu combien le tien vaut ou te contentes-tu de t’en servir sans en connaître la moindre valeur, comme si ça n’avait pas d’importance ? » Et voilà, ça recommençait…c’était plus fort que lui. En sa présence, il était forcé de lui parler avec arrogance. Mais cette admiration pour son talent qu’il avait l’agaçait au plus haut point et le rendait forcément mauvais…

 

Certains ne comprenaient pas la valeur des choses. Peut-être que Mi Hyun, même en étant une artiste, était assez bête pour ne pas le comprendre non plus ? Après tout, il ne savait pas ce qui se cachait sous cette petite tête vexée. Mais il semblait avoir touché un point sensible vu qu’elle vint aussitôt lui répliquer que la valeur, en plus d’en avoir conscience, elle la connaissait. Shin n’avait pas d’objet comme ça pour lequel il pouvait sortir une phrase aussi…dramatique ? Pas vivre sans lui…c’était une belle formule. Lui, qu’est-ce qui, dans sa vie, l’amènerait à dire une chose pareille ? On pourrait directement penser à son jumeau mais c’était différent. Non, si vraiment il devait choisir une chose dans sa vie pour laquelle il pourrait dire « sans ça, je ne peux pas vivre », ce serait la magie. Bateau peut-être, commun…mais voilà. La magie, c’était lui. La sorcellerie, c’était sa passion – comme le Quidditch. Sauf qu’il pouvait se passer de jouer au Quidditch mais pas de sa magie. Au final, l’objet dont il ne pouvait pas se séparer, c’était sa propre baguette. Elle était tout à ses yeux puisqu’elle était une passerelle directe vers cette magie qu’il aimait tant. Voilà, à bien y réfléchir il avait enfin trouvé ! Et ce n’était pas si compliqué…Perdu dans ses pensées – il faut dire qu’il l’avait à peine écouté après cela – il fut surpris de la retrouver aussi près de lui. N’avait-elle pas peur qu’il fasse un geste brusque à son encontre ? Shin n’était pas connu pour être violent mais tout le monde savait ici que s’il en venait aux mains, ça pouvait faire très mal. Certes, il était le genre d’homme assez galant pour ne pas frapper une femme – mais il était en même temps le genre d’homme qui égalisait les deux statuts et se permettait donc de le faire quand même. C’était un drôle de mélange que tout le monde ne comprenait pas. « Moi, un idiot ? » Peut-être pensait-elle qu’il allait s’énerver…mais pas du tout. Sa candeur et ses efforts pour lui renvoyer la balle le faisaient bien rire ! Il se contenta d’un simple sourire amusé et moqueur. « Voyons ma chère, si j’étais idiot, en plus de se savoir cela se serait déjà prouvé ! Me traiterais-tu d’idiot parce que toi, tu as peur d’en être une ? » Il était intelligent, Shin, mais pas que cette intelligence. Lui, idiot ? Non, cela n’avait pas de sens ! Il était un des plus avisés et perspicace et ce qu’il faisait était très bien réfléchi. Il faisait exprès de la rabaisser pour ne pas avoir à dire qu’il l’admirait ? Cela pouvait paraître idiot mais pour lui, ça ne l’était pas vraiment. Juste une tactique pour s’assurer que tout resterait dans l’ordre, sans aucun débordement. Sauf qu’il se retrouvait en terre hostile et que mine de rien, Mi Hyun savait renvoyer la balle cette fois. Il faut dire que les fois d’avant, elle avait été bien muette et coopérative…était-ce parce qu’ils étaient seuls ? « Au final, tu n’es peut-être pas si idiote que ça ! Je suis surpris que tu aies trouvé la raison de toi-même ! Je te félicite ! » Et il applaudit dans ses mains, se moquant ouvertement de sa tentative pour savoir pourquoi il était encore là, à l’embêter. C’est vrai ça, pourquoi il ne partait pas ? Après tout, il avait un rendez-vous avec son frère, ce n’était pas comme s’il avait du temps à tuer inutilement… « Alors aide-moi à aller plus vite Mi Hyun et dis-moi : quelles sont tes faiblesses à part cet instrument ? » Est-ce qu’il se servirait de ses informations contre elle ? Un jour, probablement…si le besoin s’en faisait ressentir. Mais au fond, jamais il ne toucherait à son violoncelle et défendrait quiconque de le faire. C’était trop précieux et ça, même lui en avait conscience.